L’ÉDITO (*)
11 novembre : clairons, tambours et discours…
«Afin que personne n’oublie !». Ces jours-ci, comme chaque année, voilà une petite phrase que nous allons entendre et réentendre dans les discours de circonstance, reprise ensuite à travers le prodigieux réseau des médias dont nous bénéficions.
« Prodigieux » par l’étendue de son public et la puissance de ses moyens. Mais aussi débile et inopérant que les rituels, tambours et discours qui nous rappelleront qu’il y a 102 ans débutait la première guerre mondiale, sans vraiment tenter d’expliquer pourquoi cette longue suite de guerres et de conflits mondiaux n’a cessé de défiler sous les yeux de quatre générations successives jusques et y compris ce 11 novembre 2016.
Nous sommes donc toujours en guerre, bombardant à qui mieux mieux, avec partout et toujours le même noble dessein de défendre la veuve et l’orphelin. Fiers de ces progrès stupéfiants qui permettent aujourd’hui de massacrer… de plus en plus de victimes civiles, et de toujours mieux protéger les belligérants. Hommage soit donc rendu à ces chevaliers du ciel, à ces nouveaux héros de la guerre juste qui, combattant à plus de six mille mètres, d’altitude, n’ont plus la moindre goutte de sang sur les mains.
Ne voilà-t-il pas un nouveau thème bien d’actualité pour renouveler les discours convenus du 11 novembre ?
«Not in my name !»
Après tout, la guerre, c’est leur métier aux états-majors, aux militaires et aux industriels de l’armement (y compris à la FN Herstal, ce fleuron de notre industrie wallonne). Mais que dire des « responsables » de notre destin qui, le 11 novembre, et chaque jour de l’année, donnent le triste spectacle de leur irresponsabilité ? Prétendant défendre leurs compatriotes en continuant de confier à la violence le soin de nous procurer la paix et la sécurité au mépris des leçons de l’Histoire. Et singulièrement de cette première guerre mondiale dont le rappel est encore et toujours confié aux clairons, tambours et vains discours…
Mais le « not in my name », n’est-ce pas aussi à chacun de nous, citoyens, de le faire entendre ? Que des enfants défilent dans la rue « battant tambour pour la paix », fort bien ! Le symbole est joli. Et après ?… Où sont les adultes ? Les détenteurs de l’autorité à tous les niveaux de responsabilité ? Les institutions éducatives et humanistes de tous bords ? Les mouvements citoyens en quête d’alternatives pour un monde meilleur ?… Si peu de réactions, si peu d’allusions aux guerres que nous menons, l’attention n’étant portée que sur leurs conséquences : attentats, insécurité, migrants, nouveaux bombardiers, nouvelles restrictions sociales, etc. Comment comprendre cette résignation, cet aveu silencieux d’impuissance face à l’interminable calvaire que l’humanité s’inflige à elle-même depuis des siècles, comme si la guerre était à jamais une fatalité, la violence une nécessité et la volonté des citoyens pure chimère ?
« Qui veut peut…».
La guerre économique, qui n’est jamais qu’une variante plus sophistiquée de la guerre tout court, avec les mêmes objectifs de conquête et de domination, suscite elle aussi souvent le même sentiment de résignation. Pourtant la récente victoire des opposants au CETA (sans nous attarder sur l’ampleur exacte du succès) prouve que lorsque des mouvements citoyens se mobilisent vraiment les premiers résultats ne se font pas attendre. Car c’est d’abord leur détermination qu’il faut saluer – cela n’a pas été assez dit –, sans laquelle aucune mobilisation politique n’aurait été envisageable. Provoquant du même coup la stupeur dans les rangs d’un certain nombre d’eurocrates ligués au grand business international, tellement habitués à la docilité de leurs sujets !
Alors, ce 11 novembre 2016 sera-t-il, une fois de plus, le rappel d’une soi-disant victoire de la Paix quand elle ne fut qu’une victoire de la Violence? Engendrant d’autres violences, d’autres guerres à n’en plus finir. Un frémissant et horrifique souvenir des atrocités commises par l’Ennemi ? Un émouvant hommage rendu aux malheureuses victimes ?… Rien de plus ?… Ah ! si, bien sûr : quelques vœux pieux pour « la paix dans le monde ». Ou, selon le cas, un regain de ferveur patriotique face au nouvel Ennemi.
Chère Anne Morelli, ne vois-tu rien venir ?… Toi qui nous parlais si bien, il n’y a pas si longtemps, des « Dix commandements de la propagande de guerre ». Largement diffusés dans notre pays et ailleurs, et soudain oubliés semble-t-il. Black-out, autocensure, union sacrée face à l’Ennemi ? « Comme en 14… ».
C’est bien parti, une fois de plus.
Depuis cent ans (et bien avant), même résignation, assortie de ce facile aveu d’impuissance : « Ces décisions nous dépassent ! ».
Non la guerre n’est pas une fatalité. Ce sont les hommes qui la font. Qui, sinon eux (sinon nous), pourront la défaire et nous en libérer ?… Si nous nous en donnons les moyens.
D’accord ? Pas d’accord ?…
Yvon Sondag
(*) Suite à la question d’un lecteur désireux de savoir si nos messages périodiques reflétaient « la position officielle de la Colupa », les membres du bureau réunis à Arlon le 5 octobre ont décidé que ces messages prendront désormais la forme d’un ÉDITO signé, à tour de rôle, par l’un de nos membres désireux d’exprimer son point de vue sur l’actualité, en lien avec notre positionnement déjà affirmé sur la guerre et réactualisé dans notre déclaration commune ci-jointe, « Que faire face à la barbarie ? » publiée à la suite des attentats de Paris et de Bruxelles.